Communiqué de Sud-Culture, section INRAP, pour un véritable service public de l'Archéologie, 10 janvier 2003

SUD-CULTURE, SECTION INRAP

Pour un véritable service public de l'Archéologie :

"L'archéologie préventive, qui relève de missions de service public, est partie intégrante de l'archéologie. Elle est régie par les principes applicables à toute recherche scientifique. Elle a pour but d'assurer, à terre et sous les eaux, dans les délais appropriés, la détection, la conservation ou la sauvegarde par l'étude scientifique, des éléments du patrimoine archéologique affectés ou susceptibles d'être affectés par les travaux publics ou privés concourant à l'aménagement. Elle a également pour objet l'interprétation et la diffusion des résultats obtenus." (article 1er de la loi n° 2002-44 du 17 janvier 2001 relative à l'archéologie préventive).

L'archéologie préventive, telle que définie dans l'article ci-dessus connaît actuellement une grave crise. Les raisons de cette crise et les solutions proposées pour la résorber ne peuvent se comprendre que par le rappel des conditions de la mise en place du système actuel et son analyse. Les propositions énoncées visent à pérenniser la discipline, par une réforme de son financement, afin de l'intégrer au mieux dans les opérations d'aménagement. D'autres chantiers restent à ouvrir, notamment sur l'emploi. Ils feront l'objet de propositions ultérieures.

1/ De la naissance à la crise : l'archéologie préventive telle qu'elle a été

Avant le vote de la loi de 2001, aussi bien pour les diagnostics que pour les fouilles et autres études, les moyens mis en œuvre en archéologie étaient basés sur des négociations au coup par coup, par les agents des Services Régionaux de l'Archéologie (SRA &endash; Directions Régionales des Affaires Culturelles, Ministère de la Culture), directement auprès des aménageurs. Cette habitude, souvenons nous en, amenait quelques distorsions entre les pratiques régionales, voire parfois au sein d'un même SRA. Le coût de la réalisation d'une fouille sur le même type de site fluctuait ainsi d'une région à l'autre du simple au double ou au triple. Chaque SRA, voire chaque agent des SRA, se trouvait souvent dans l'obligation de réagir en fonction de sa sensibilité propre et de sa capacité à résister aux pressions des aménageurs, mais surtout en fonction des capacités financières du pétitionnaire. Cette situation chaotique s'expliquait principalement par l'absence de politique claire du ministère de la culture.

L'opérateur désigné pour la réalisation de l'opération était généralement l'Association pour les Fouilles Archéologiques Nationales (Afan). Cette association, au départ simple compte bancaire créé en 1973 pour faire transiter l'argent des fouilles programmées, est ainsi devenue en une vingtaine d'années le premier employeur d'archéologues en France, d'abord sous vacations, puis CDD, et enfin à partir de 1991 sous CDI. Cette période de croissance répond à l'importante vague de restructurations de centres anciens et d'aménagements du territoire qui a entraîné la destruction de vestiges très importants (port antique de Marseille par exemple). Les fréquents conflits sociaux à l'Afan à partir de la fin des années 1980 ont contribué d'une part à l'amélioration sociale de l'emploi et du travail (cadre d'emploi, conditions d'hygiène et de sécurité, formation, etc.) et d'autre part à la rédaction de nombreux rapports sur la pratique de l'archéologie par des personnes plus ou moins qualifiées (citons les rapports Martin-Laprade, Goudineau, Gauthier, Gauthier et Méda). Le quasi monopole de cette association de droit privé a très vite irrité certains élus-aménageurs qui ont prôné une mise en concurrence de l'Afan, générlement avec des associations locales utilisant largement le bénévolat et la précarité sous couverture sociale (TUC, CES, etc.).

L'affaire des remparts de Rodez en 1997 a mis le feu aux poudres, en même temps qu'un coup de projecteur sur l'ensemble de l'archéologie préventive en France. La nouvelle majorité de 1997 a affiché une volonté de régler la crise. Des tables rondes ont été organisées. Madame Trautmann, ministre de la culture, a chargé de mission M.-C. Vitoux puis le trio Demoule &endash; Pêcheur &endash; Poignant. Les deux lettres de mission visaient la même commande : un "service public fort et pérenne de l'archéologie préventive".

2/ L'archéologie préventive aujourd'hui ou la loi de 2001

Les principales orientations du dernier rapport ont été reprises dans un texte de loi présenté au Parlement et adopté après trois navettes et quelques amendements le 17 janvier 2001 (loi 2001-44). Cette loi fonde la légalité de l'archéologie préventive et place celle-ci dans les activités de recherche et les missions de service public. L'ensemble des opérations liées à l'aménagement du territoire et soumises à autorisations (permis de construire, de démolir, de lotir, instructions mixtes, PLU, instructions classées, etc.) peuvent être soumis à l'avis du SRA. Sur avis de celui-ci, le préfet de région prescrit ou non la réalisation d'une opération archéologique. Sa réalisation est confiée à un EPA (Institut National de Recherches Archéologiques Préventives) financé par une redevance à la charge du pétitionnaire. Ce principe implique que seuls les aménageurs directement concernés par la réalisation d'une opération de diagnostic ou de fouille sont soumis à contribution financière. Il n'y a donc aucune mutualisation du "risque archéologique" entre aménageurs, à aménagement et à risque équivalent.

Les redevances sont calculées, pour les diagnostics sur un prix fixe au mètre carré (environ 0,30 ¤), sans aucune considération de la complexité de réalisation (milieu urbain, humide, friche industrielle, bâti ruiné) et, pour les fouilles, à partir du nombre de structures archéologiques à l'hectare pour les sites ruraux non stratifiés, à partir de l'épaisseur des niveaux archéologiques pour les sites stratifiés. Le produit des redevances est directement perçu par l'établissement public et celui-ci assure la répartition des moyens affectés à chaque opération. Ces moyens sont sans rapport entre le coût réel de l'opération de diagnostic et la hauteur de la redevance perçue. Pour les fouilles, le mode de calcul assure une certaine relation entre l'importance matérielle du site et la hauteur de la redevance. Signalons que certains aménagements à caractère social ou réalisés pour l'habitat principal du pétitionnaire sont exonérés de la redevance. Enfin, l'EPA ne peut en aucun cas intervenir sans l'émission d'un arrêté de prescription et il ne peut, à l'inverse, refuser de réaliser une opération prescrite.

Les effets pervers de la loi de 2001

La réalité montre malheureusement de nombreux effets pervers de la loi, catastrophiques aussi bien pour l'aménagement du territoire que des points de vue scientifiques et sociaux. Certains étaient annoncés dès le stade des projets émis au cours de l'année 2000 :

• Le nombre de dossiers arrivant sur les bureaux des agents des SRA a littéralement explosé. En parallèle, le nombre d'agents n'a pas augmenté. Les conservateurs, ingénieurs et techniciens du ministère se voient donc contraints de traiter un nombre limité de dossiers sans pouvoir faire un véritable choix scientifique. Noyés sous les formulaires et assurant eux-mêmes de moins en moins de recherches de terrain, ces personnels sont transformés en simples agents administratifs et ne pourront plus, à terme, instruire les dossiers sur de véritables critères scientifiques.

• Seuls les projets sur lesquels prescrivent les services régionaux de l'archéologie sont soumis à redevance, entraînant une inégalité des aménageurs devant l'impôt, selon la chance ou la malchance de voir son dossier choisi dans la pile.

• Le faible coût de la redevance sur les diagnostics est presque indolore, même pour les aménagements les plus gourmands en espace (grosses ZAC, grands tracés routiers et ferroviaires). Il peut toutefois gêner la réalisation de certains aménagements en milieu rural (lotissements communaux dans des zones en voie de désertification, où le prix du mètre carré est parfois inférieur à celui de la redevance).

• Le calcul de la redevance pour la fouille des sites ruraux, basé sur le nombre de structures à l'hectare, a entraîné un surcoût important pour ce type de fouille. Les prix ont été multiplié par 4 en moyenne. La redevance remettant dans nombre de cas en cause la viabilité économique du projet d'aménagement. Cette situation est désormais sans solution du fait de la disparition des possibilités de subvention.

• L'effet dissuasif du coût éventuel de la redevance est illusoire dans la mesure où la responsabilisation des aménageurs est proportionnelle à leurs possibilités financières. Malgré son coût parfois élevé, la redevance calculée sur des critères liés au site n'exclut pas à priori la rentabilité de certains projets. Elle creuse en revanche le fossé entre les gros et les petits aménageurs et fixe dans la loi une discrimination par l'argent.

• Le coût prohibitif de certaines fouilles met en péril la réalisation de certains projets (petites ZAC, lotissements ruraux, etc.) et nuit donc au développement économique de certaines zones déjà défavorisées. Les sites font alors l'objet de mesures conservatoires au détriment de l'aménagement, ou sont détruits sans étude complémentaire, et les archives contenues dans le sol sont irrémédiablement perdues.

• Les archéologues passent d'une opération de diagnostic à une autre, sans plus faire de véritable fouille. Outre une grande frustration et une réelle lassitude tant morale que physique, cette fuite en avant ne peut être que néfaste à terme pour la qualité de la recherche archéologique.

• Le mode de calcul pour les sites stratifiés est, à l'inverse des sites non stratifiés, sous évalué. Leur prix a été divisé par 2 à 3 en moyenne. Ces sites qui sont souvent en milieu urbain nécessitent des moyens d'intervention techniques et des installations de chantiers importants. Leur coût est à la charge de l'EPA, systématiquement déficitaire sur ce type d'opérations. Ces déficits, cumulés au faible rapport des diagnostics, mettent aujourd'hui en péril l'équilibre financier de l'Inrap.

• L'intervention au coup par coup, selon les prescriptions des SRA, rend toute programmation impossible et favorise le recours toujours massif aux emplois précaires. Les fluctuations de l'activité, donc des produits de la redevance, interdit toute véritable planification d'investissement dans le matériel ou la formation et empêchent toute réelle politique scientifique.

• La prescription étant l'élément déclencheur et définissant la redevance, il est aujourd'hui impossible d'étendre l'étude des vestiges d'un site hors de l'emprise strictement définie par l'arrêté de prescription, contrairement à une véritable logique scientifique.

• Seuls les sites menacés par un aménageur identifiable entrent dans le champ d'application de la loi, en excluant les nombreux sites arasés régulièrement par les travaux agricoles ou par l'érosion naturelle (sites de montagne ou littoraux).

• Enfin, les études autres que celles touchant le sous-sol (études du bâti ancien avant restructuration ou rénovation, études documentaires, etc,) sortent du champ d'application de la loi. Elles ne reçoivent donc plus de financement et les quelques opérations réalisées le sont sur les fonds propres de l'Inrap, creusant encore son déficit.

3/ L'archéologie telle qu'elle pourrait devenir :

Plusieurs fois ont été évoquées les possibilités d'une privatisation de l'archéologie préventive. Dès 1989, B. Martin-Laprade énonçait les résultats catastrophiques d'une ouverture au marché. En conservant le financement au coup par coup, elle ne règlera pas l'inégalité des aménageurs devant la "loterie archéologique". Les procédures d'attribution de marchés allongeront encore les délais d'intervention pour nombre d'aménageurs publics. De plus, la mise en place d'appels d'offre au moins disant ne pourra se faire qu'au détriment du temps consacré à l'étude, de la qualité des intervenants ou de leur rémunération. Elle entraînera irrémédiablement une baisse de la qualité des résultats scientifiques. La réalisation d'opérations sur les grands tracés nécessite des moyens humains, techniques et financiers importants, et par conséquent la mise en place de grosses structures. Les masses financières en jeu (moins de 100 M ¤/an) sont probablement trop faibles pour permettre la coexistence sur le long terme de plusieurs entreprises concurrentes. La fluctuation de l'activité entraînera encore la précarisation des archéologues, en favorisant les embauches de CDD "au chantier". La vocation des aménageurs n'étant pas de produire des données scientifiques mais de voir les terrains libérés des contraintes administratives, les périodes d'étude, de synthèse et de mise en forme des données seront systématiquement amputées, entraînant une chute de la qualité du rendu scientifique. Enfin, combien d'opérations verront leurs résultats portés jusqu'à la publication, en dehors de quelques sites particulièrement spectaculaires, exploités pour la publicité de quelques mécènes ?

4/ L'archéologie telle qu'elle doit être :

Le gouvernement, via le ministre, a affirmé sa volonté de garder l'esprit de la loi de 2001. Celle-ci s'adosse à la Convention européenne pour la protection du patrimoine archéologique (1) et maintient une relation directe entre financement et réalisation d'une opération d'archéologie préventive. La crise actuelle met en lumière les limites et incohérences de ce dernier principe. Inversement, l'archéologie préventive ne peut être financée sur le budget de l'Etat sans rentrée budgétaire correspondante.

Les nécessités de l'archéologie préventive n'induisent cependant pas forcément un financement au cas par cas qui, négocié comme avant 2001 ou calculé selon un barème national comme actuellement, a toujours été la cause de grandes inégalités des aménageurs devant la loi et une des raisons essentielles de nos difficultés actuelles. Les effets pervers du financement au cas par cas avaient déjà été soulevés par C. Goudineau en 1990(2) qui préconisait "que les pouvoirs publics disposent du financement global qui leur permettra de développer une politique scientifique et patrimoniale digne de ce nom" .

Il n'est guère de notre compétence de définir ici les détails d'application d'un financement globalisé. On peut cependant imaginer une taxe sur les actes d'aménagement du territoire, nouvelle ou adossée à un dispositif existant, calculée sur une assiette la plus large possible (taxe sur les lotissements, sur les projets soumis à étude d'impact, sur le kilomètre d'autoroutes comme en Suisse, sur les permis de construire, Taxe Locale d'Equipement, etc). En élargissant l'assiette du financement, il devrait être possible de dégager sans dommages des moyens conséquents. A titre indicatif, le chiffre d'affaire des entreprises du secteur "Bâtiment et Travaux-Publics" pour l'année 2000 avoisinait 1 000 Mds F HT (3). Cette même année, le budget de l'Afan avoisinait 550 M F (soit 0,055 %). Le budget de l'Inrap pour 2002 était de 100 M ¤.

La globalisation des financements présente de nombreux avantages :

• Moins fluctuante que la redevance actuelle, une taxe permet aux aménageurs de mieux intégrer la contrainte archéologique dans leur projet.

• En déconnectant totalement le montant payé par l'aménageur de l'intervention archéologique, la globalisation introduit une grande souplesse dans les possibilités d'intervention.

• Le porté à connaissance de nombreux projets d'aménagements très en amont de leur réalisation doit permettre de mieux planifier les interventions et éventuellement de les étaler sur plusieurs années en faisant éclater le vieux et néfaste clivage entre archéologie préventive et archéologie programmée.

• Une meilleure planification permet de mieux intégrer les phases d'étude post-fouille et de l'indispensable publication des résultats. Elle permettrait de dégager les moyens financiers et humains nécessaires à l'accomplissement total de nos missions, jusqu'à la restitution des résultats à la communauté scientifique et au public le plus large.

• Une meilleure maîtrise de l'activité permet d'avoir une véritable gestion des personnels, de leur recrutement et de leur formation.

• Les rapprochements actuels de tous les acteurs de l'archéologie (CNRS, collectivités, culture, universités, Inrap) dans des Unités Mixtes de Recherche montrent bien l'unicité de la pratique archéologique. Seule la globalisation des financements permettra la mise en place d'une véritable politique de collaboration et de programmation entre ces différentes institutions au sein d'un véritable service public de l'archéologie, pour faire progresser notre discipline.

La globalisation entraîne également quelques contraintes dont la nécessaire notion de choix dans les opérations réalisées. La situation actuelle du choix par défaut n'est pas acceptable. La réalité scientifique du choix des fouilles passe par une réelle gestion du patrimoine archéologique. Cette gestion, pour être cohérente et égalitaire, ne peut faire l'économie d'une logique de diagnostic clairement définie. Seul le patrimoine identifié peut être pris en charge et analysé à sa juste valeur selon des critères scientifiques.

La réforme profonde du mode de financement de l'archéologie préventive n'implique pas une refonte totale de la loi de 2001. Le financement par une taxe est compatible avec le statut d'Etablissement Public Administratif de l'Inrap. Les politiques archéologiques pourraient être définies au niveau national par le Conseil National de la Recherche Archéologique, et au niveau interrégional par les Commissions Interrégionales de la Recherche Archéologique. Les procédures pourraient s'inspirer de celles en vigueur actuellement (dossiers instruits par les Services Régionaux de l'Archéologie, décision de fouille préfectorale, etc). Le problème financier étant totalement déconnecté, seules les modalités d'intervention (accès au terrain et délais) feraient l'objet d'une convention entre l'aménageur et l'Inrap. La commission de recours prévue dans la loi de 2001 pourrait être maintenue pour statuer sur les éventuels litiges.

La globalisation des financements, sous forme d'une mutualisation du risque archéologique, souhaitée par de nombreux aménageurs, apparaît comme la seule véritable alternative au système actuel. Elle est la seule qui permettra d'intégrer réellement la prise en compte du patrimoine collectif dans la politique d'aménagement du territoire, en mettant en place un véritable Service Public de l'Archéologie Préventive.

SUD-Culture, le 10 janvier 2003

1 : Dite "Convention de Malte", ratifiée par la France en 1995
2 : Christian Goudineau, Rapport au premier ministre sur l'archéologie nationale, page 7
3 : Données issues du site internet du ministère de l'Equipement