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Bilan et perspectives de l’archéologie préventive au moment de la création de l’Institut national de recherches archéologiques préventives

Jean-Paul Demoule - mars 2002

Sommaire : - L'invention de l'archéologie préventive - Crises et volonté politique - Les principes de la réforme de 2001 - Concurrence commerciale privée et archéologie - Les principes du financement - Le régime des prescriptions - Financement, globalisation et choix scientifiques - Les relations avec les aménageurs - La nouvelle organisation - L'organisation régionale - La politique des personnels - La formation - La politique de recherche - Les structures de recherche - Le partenariat avec les collectivités territoriales et les associations - La politique de publication - Animation et diffusion auprès du public - Le dépôt et l'archivage des données de fouille -

La mise en place, le 1er février 2002, de l’Institut national de recherches archéologiques préventives marque une date essentielle dans la longue histoire des relations difficiles que la France entretient avec son patrimoine archéologique. Dès 1825, Victor Hugo, face aux destructions massives subies par le patrimoine monumental, déclarait la “guerre aux démolisseurs” et impulsait ainsi la mise en place progressive d’un service de protection des monuments historiques visibles, réaffirmé par la loi de 1913. Mais il en alla autrement pour les sites archéologiques enfouis. Moins essentiels pour l’identité culturelle nationale que ceux fouillés en Grèce, à Rome ou en Orient par les premiers archéologues professionnels, les vestiges recélés par le sous-sol métropolitain furent en majeure partie, et jusqu’au début des années 1970, abandonnés à des amateurs passionnés. C’est à eux que l’on doit tant de sauvetages héroïques, réalisés sans soutien de l’État. Jusque dans les années 1980, le cœur des villes historiques, comme à Paris, Marseille, Toulouse, Orléans ou Bourbonne-les-Bains, disparaissent sous les lames des bulls dozers, sans compter des milliers de sites ruraux.

L'invention de l'archéologie préventive

C’est à partir du milieu des années 1970 que, sans aucune décision particulière de l’État, une poignée d’archéologues enthousiastes, voués bientôt à se multiplier, partent au contact des aménageurs. Si elle ne disait rien du financement des fouilles de sauvetage, la loi permettait au moins, dans une certaine mesure, aux services régionaux de l’archéologie du ministère de la culture (à l’époque “directions des antiquités”) de s’opposer à la destruction des sites. De ce constat naît l’archéologie préventive (on parla d’abord de “sauvetages programmés”) et celle-ci, de quelques millions de francs à la fin des années 1970, atteint en 2001, deux décennies plus tard, près de cent millions d’euros, payés pour l’essentiel par les aménageurs.

Ces sommes, recueillies dans un cadre légal un peu imprécis, servaient avant tout, pour près des trois-quarts, à rémunérer les archéologues de terrain : une nouvelle profession apparaît, dont les effectifs passent en vingt ans de 0 à 1500 personnes, une croissance sans équivalent dans l’histoire d’autres disciplines scientifiques. Pour les employer, le ministère de la culture utilise, avec l’accord constant du ministère des finances (mais avec des réserves croissantes de la Cour des comptes), une association de statut “loi 1901”, créée à l’origine pour faciliter l’avance des subventions aux fouilles programmées, l’Association pour les fouilles archéologiques nationales. Celle-ci se transforme donc de fait en une agence de moyens placée auprès des services archéologiques régionaux, mais dépourvue de toute autonomie scientifique.

L’ensemble de ce système original, bâti dans l’improvisation permanente et avant tout dans l’enthousiasme, fut d’une remarquable efficacité. Des milliers de sites archéologiques purent ainsi être fouillés avant leur destruction. L'étude des sites sur de très grandes surfaces, les sondages systématiques pratiqués sur les autoroutes, les carrières ou les lignes de TGV, le suivi des travaux urbains, etc, permettent une approche nouvelle de l’occupation des territoires anciens et révolutionnent nos connaissances pour toutes les périodes de la préhistoire et de l’histoire. De nouvelles méthodologies apparaissent, ainsi qu’une très grande technicité dans l’organisation des fouilles - certaines dans des conditions si difficiles que nos collègues de générations plus anciennes admettent aisément qu’ils ne sauraient désormais plus les affronter. L’AFAN sut également se doter de l’appareil administratif capable de gérer des sommes importantes et un grand nombre de personnels et de fouilles.

Crises et volonté politique

Mais en même temps, il est clair que le système avait atteint ses limites. L’absence de cadre juridique clair se heurtait régulièrement aux réticences des aménageurs. L’absence d’autonomie scientifique de l’AFAN faisait obstacle à une politique globale de recrutement et de formation, mais aussi d’étude, de recherche, de publication, voire d’animation et de diffusion. De fait, devant le développement soudain de l’archéologie préventive, l’État n’avait pas su mettre en œuvre de politique d’accompagnement dans ces différents domaines. Il n’y avait pas non plus de politique des personnels et si, dans les années 1980, les premiers archéologues contractuels, de l’ordre d’une centaine, furent intégrés au sein des services régionaux de l’archéologie, les suivants furent en partie stabilisés sur des contrats à durée indéterminée à la suite de plaintes auprès des tribunaux des prud’hommes, avant que des commissions scientifiques de recrutement ne se mettent progressivement en place. Ceci explique en particulier la forte implication des organisations syndicales représentatives dans le développement de l'archéologie préventive. Par ailleurs, les rythmes nécessairement soutenus de recrutement engendraient en même temps une pyramide des âges fortement déséquilibrée - la majorité des archéologues de l’ex-AFAN ayant actuellement entre 30 et 40 ans.
Cette situation fut évidemment, au cours de ces deux décennies, à l’origine de crises récurrentes. Des mouvements de grève et de protestation, associant l’ensemble de la communauté scientifique, éclatèrent régulièrement. L’un d’eux, en 1990, fut à l’origine du rapport de Christian Goudineau, à la demande du Premier Ministre : dès cette date, l’essentiel du diagnostic était fait. Ce rapport prenait la suite d’une longue série, commencée dès le milieu des années 1970, avec notamment le rapport Soustelle, le rapport Chapelot-Querrien-Schnapp, le rapport Querrien-Schnapp, le rapport Martin-Laprade, le rapport Gauthier-Méda, etc. En 1992, le Conseil supérieur de la recherche archéologique démissionnait collectivement pour protester contre l’absence de réformes. En 1997, l’affaire de Rodez suscitait grèves et manifestations, et finalement l’amorce d’un projet de réforme. En 1998 enfin, à la suite de l’avis du Conseil national de la concurrence, qui prétendait placer l’archéologie préventive dans le champ de la concurrence commerciale privée, une nouvelle vague de protestations collectives aboutissait, non seulement à la rédaction d’un nouveau rapport (le vingtième, environ, en vingt ans), mais finalement à la réforme désormais en place.

Les principes de la réforme de 2001

Cette réforme repose sur une nouvelle loi, celle du 17 janvier 2001, elle-même fruit d’un long travail parlementaire, le premier, dans l’histoire de la République, consacré à l’archéologie. Cette loi fut de surcroît confirmée par le Conseil constitutionnel. Le nouveau dispositif comprend trois volets principaux :

a) l’archéologie préventive n’est pas une activité commerciale qui serait exécutée au bénéfice d’un aménageur. C’est un service public national d’intérêt général et de recherche, placé sous le contrôle direct de l’État. Ce service public a deux facettes : les services régionaux de l’archéologie (SRA) du ministère de la culture (sous-direction de l’archéologie) prescrivent et contrôlent les fouilles, et nomment les responsables scientifiques de chaque intervention ; un établissement public administratif (EPA) de recherche, l’Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP), placé sous la double tutelle du ministère de la culture et du ministère de la recherche, est chargé de la réalisation des fouilles dans une perspective de recherche. On remarquera que, si cet établissement public administratif ne rentre pas dans la catégorie des “établissements publics scientifiques et techniques” à l’instar du CNRS, c’est seulement parce que ses personnels ne sont pas titulaires ; en revanche la mission de l’établissement, définie par la loi, est bien une mission de recherche.

b) L’INRAP est tenu d’associer à son action l’ensemble des institutions de recherche publiques (CNRS, universités, archéologues de collectivités, etc). Ce partenariat nécessaire est placé sous le contrôle des tutelles ministérielles, mais aussi des différents conseils scientifiques consultatifs (Conseil national de la recherche archéologique, Commissions interrégionales de la rec - herche archéologique ou CIRA, conseil scientifique de l’INRAP – lui-même composé de chercheurs en majorité extérieurs à l’établissement).

c) Le financement de l’archéologie préventive est à la charge des aménageurs, sous la forme d’un impôt, payé pour chaque aménagement à la hauteur de l’importance (en puissance de couches ou en densité de vestiges) des dommages subis par le site menacé. La collecte de cet impôt permet une certaine forme de globalisation et de mutualisation - d’autant qu’il existe des exonérations (logements sociaux, particulier construisant pour lui-même) et des plafonnements (autres logements). Qu’il s’agisse d’un impôt implique également une égalité de l’ensemble des aménageurs devant la loi, et donc une égalité d’instruction et de traitement des dossiers d’aménagement sur l’ensemble du territoire national. C'est enfin la loi qui fixe (et donc contrôle) le montant de l'impôt, et non pas la concurrence dans le cadre d'un marché.

Ces trois principaux volets représentent aussi l’adaptation de la Convention internationale de Malte sur la préservation du patrimoine archéologique, que la France a ratifiée en 1994. Ils sont également en conformité avec les traités fondant l’Union européenne, traité de Rome en premier lieu, comme l’ont établi le Parlement et le Conseil constitutionnel. Sur le modèle de l’Union douanière (Zollverein) qui, au XIXème siècle, ouvrit la porte à l’Unité allemande, ces traités organisent en effet la libre circulation des biens et des personnes au sein de l’Union. Mais ils ne considèrent pas que toute la vie sociale européenne appartient nécessairement à la sphère marchande. Ils situent clairement en dehors d’elle les services d’intérêt général.

Concurrence commerciale privée et archéologie

De ce point de vue, les différents pays de l’Union européenne devront faire un choix clair au cours des toutes prochaines années. Un seul pays de l’Union a placé clairement l’archéologie préventive dans la sphère de la concurrence commerciale privée : il s’agit de la Grande-Bretagne. Dans d’autres, au contraire, l’archéologie préventive est un monopole public, comme en Grèce, dans les pays scandinaves ou la plupart des Länder allemands. D’autres enfin, à l'instar de la France avant 2001, se trouvent dans une situation intermédiaire, dont la législation européenne ne permet pas à terme la perduration. Ce débat a en partie commencé. Ainsi, les Pays-Bas, qui s’étaient d’abord engagés dans un projet de mise en place contrôlée de la concurrence commerciale, en perçoivent désormais les désavantages, dont l’impossibilité de mettre sur pied une politique scientifique globale. Archéologues allemands et italiens réfléchissent à leur tour à la réforme française. Des associations professionnelles européennes se sont également emparées de la question, dont l’Association des archéologues européens (European Association of Archaeologists) ou encore l’Association des chefs de services archéologiques nationaux (Europae Archaeologiae Consilium).

En France, la mise en place d’un système commercial concurrentiel avait été envisagée pendant l’été 1998 (provoquant les réactions négatives déjà évoquées) à la suite d’un avis du Conseil national de la concurrence. Cet avis, rendu le 19 mai 1998, mérite d’être lu. Il décrit en effet par le menu, au long d’une trentaine de pages, un tel système où, à la suite d’un agrément préalable, des entreprises archéologiques privées seraient mises en concurrence et sélectionnées par les seuls aménageurs. Tout le raisonnement repose sur un biais fondamental : c'est l'aménageur, en tant que client, qui organiserait la concurrence entre entreprises privées d'archéologie, dans le cadre d'un marché de services dont les prix seraient ainsi régulés par l'effet de cette concurrence. Or ce qu'achèterait ainsi l'aménageur-client ne serait nullement de la connaissance archéologique, mais seulement la "libération" de son terrain dans les délais les plus brefs et au moindre coût. Ainsi la qualité de la recherche archéologique ne saurait aucunement être améliorée dans un tel système. Certes, il existe de la recherche privée, mais seulement dans les domaines qui débouchent sur des applications commerciales (médecine, communications, etc), ce qui n'est guère le cas de l'archéologie. Il est d'ailleurs à noter que les groupes de bâtiments et travaux publics qui, au cours des années 1980, avaient été approchés par le ministère de la culture dans l'éventualité de la création de branches archéologiques ne s'étaient nullement montrés intéressés. On rappellera aussi la spécificité de la fouille archéologique, qui est par nature un acte de destruction et ne permet donc aucun contrôle de qualité a posteriori, contrairement à la plupart des autres productions humaines. De fait, dans les rares pays où elle existe, la concurrence commerciale privée est plutôt subie que revendiquée par les archéologues qui la pratiquent et il est clair, aux Etats-Unis par exemple, que son bilan est largement négatif d'un point de vue scientifique.

C'est pourquoi le petit groupe d’archéologues français qui a cru bon de déposer un recours contre la nouvelle loi française auprès de la Commission de Bruxelles fait fausse route. Si la Commission et la Cour de justice des communautés européennes devaient condamner la France et déjuger son Conseil constitutionnel, cela ne signifierait en aucun cas un retour au système antérieur. Bien au contraire, l’instauration d’un système concurrentiel aurait pour effet légal immédiat d’éliminer du marché concurrentiel les associations de bénévoles (qui deviendraient, dans une logique commerciale, des “travailleurs au noir”). Le système éliminerait également les services archéologiques territoriaux et les équipes du CNRS, dans la mesure où, comme le précise l’avis du Conseil de la concurrence, le fait de travailler de manière systématique sur un territoire donné et donc mieux connu permet de disposer d’informations préférentielles et fausse par conséquent la concurrence commerciale (de même que le prestataire réalisant les diagnostics ne peut être celui qui réalise les fouilles). Au contraire, le bénévolat est une activité reconnue dans le cadre du service public et, quant aux autres partenaires, le monopole encadré de l’INRAP permet effectivement d’organiser une collaboration au bénéfice de tous.

Le Conseil de la Concurrence semble d’ailleurs, tout récemment, avoir reconsidéré en partie sa position de 1998. Dans un avis de mars 2002, il a débouté le Conseil Général du département des Pyrénées Orientales qui avait pourtant porté plainte devant lui en 1998 contre l’AFAN pour pratique anti-concurrentielle.

Les principes du financement

Jusque-là, le financement de l’archéologie préventive s’effectuait au coup par coup dans le cadre d’une convention de gré à gré et sur une base réglementaire plutôt floue. Il dépendait à la fois des talents de négociation des deux parties (Services régionaux de l’archéologie et aménageurs) et du chiffre d’affaire de l’aménageur. Pour établir un cadre clair, la loi avait le choix politique entre quatre possibilités :
a) Tous les citoyens paient et l’archéologie préventive est financée, à enveloppe annuelle fermée, sur le budget de l’État. Le système est simple et garanti ; mais il n’incite pas les aménageurs à modifier leurs projets en fonction des découvertes et il bloque les moyens financiers de l’archéologie préventive au niveau d’aujourd’hui, alors même que celle-ci est en progression continue depuis vingt ans. Il n’y a plus de liens entre l’activité d’aménagement et celle de l’archéologie préventive. Symétriquement, les archéologues sont moins responsabilisés et moins tenus de respecter les délais. L’enveloppe crée également le risque de listes d’attente, y compris la tentation d’une participation financière particulière des aménageurs pressés, ce qui serait un retour à l’ancien système. Enfin, il n’est pas forcément normal de solliciter l’ensemble des citoyens à propos d’aménagements privés dont certains ont le profit comme seule raison.
b) Tous les aménageurs, et eux seulement, paient, dans le cadre d’une taxe. Si le “risque” est ainsi mutualisé, le système n’incite pas non plus les aménageurs à modifier leur projet, tandis que les archéologues ne sont pas plus responsabilisés. Le danger de listes d'attente existe également. Enfin ce système présente des difficultés de technique fiscale pour le calcul de l’assiette de la taxe, en raison de la très grande variété des types d’aménagement.
c) Les aménageurs paient au coup par coup, dans le cadre d’une redevance pour service rendu, l’archéologie préventive étant conçue comme la “purge” nécessaires de vestiges, préalablement à un aménagement. Cette solution situerait clairement en ce cas l’archéologie préventive dans la sphère marchande, les aménageurs étant fondés à choisir eux-mêmes, dans le cadre d’appels d’offre concurrentiels, leur prestataire de service.
d) Les aménageurs, afin de réparer le dommage subi par le patrimoine archéologique national, paient au coup par coup, proportionnellement à l’importance du dommage. C’est le principe “pollueur = payeur” (“polluter pays” en anglais, “Verursacherprinzip” en allemand) du droit de l’environnement et celui qui a été retenu en raison, notamment, de son caractère dissuasif. En ce cas, s’agissant d’un impôt, le mode de calcul de cet impôt doit être clair et défini par la loi et tous les citoyens concernés doivent le payer de manière égale et équitable. Le système assure aussi une certaine forme de mutualisation, notamment en raison des exonérations (logements sociaux et particuliers construisant pour eux-mêmes) et des plafonnements (autres logements) : l’État en effet n’a pas manifesté l’intention de compenser ces exonérations et plafonnements par des subventions particulières.
En l’état actuel, la redevance repose, malgré les apparences, sur des calculs et des définitions très simples, distinguant sondage et fouille, sites stratifiés et non-stratifiés, structures simples ou complexes, sédiments archéologiques et sédiments stériles. Ces définitions générales sont entrain d’être précisées dans le détail par des textes d’application. Les chiffres retenus l’ont été sur la base des coûts d’environ un millier de fouilles préventives de l’année 1998. Si ces chiffres se révélaient inadéquats, il serait nécessaire de les modifier par voie législative. L’INRAP, en tant qu’établissement public administratif, est désormais placé sous la tutelle directe de l’État, qui est garant de son fonctionnement. En outre, le rapport, prévu par la loi, qui doit être présenté au parlement à la fin de l’année 2003 sera également l’occasion d’attirer l’attention sur d’éventuels problèmes et, plus généralement, de dresser un premier bilan de la réforme.

Le régime des prescriptions

Le nouveau système organise les nouveaux rôles respectifs des SRA et de l’INRAP, sur la base d’une coopération étroite et constructive :

Loi et décrets systématisent l’instruction des projets d’aménagement par les services régionaux de l’archéologie. Au cours des 18 prochains mois, ceux-ci auront à établir les seuils de surface d’aménagement à partir desquels ils sont automatiquement saisis d’un projet (saisie systématique à partir de 10.000 m2 d’aménagement par exemple). Ils auront aussi à délimiter les zones de sensibilité archéologique particulière où, également, les dossiers d’aménagement sont automatiquement transmis. Ce nouveau dispositif vise donc à mettre peu à peu en place un traitement égal des travaux d’aménagement - rendu d’autant plus nécessaire que la redevance payée par les aménageurs étant désormais un impôt, elle suppose effectivement une égalité de traitement de l’ensemble des aménageurs. Ainsi que l’ont souligné nos collègues des services régionaux de l’archéologie, le nouveau dispositif est susceptible de demander des moyens nouveaux.

La sensibilité archéologique des zones à délimiter doit évidemment être approfondie. On ne saurait se fonder sur la seule Carte archéologique nationale, qui est en grande partie l’enregistrement de l’activité archéologique passée. On sait que, dans les zones où sont pratiqués des sondages systématiques, plus de 90% des sites découverts étaient jusque-là inconnus. Toutes les vallées alluviales par exemple sont, quelle que soit la connaissance préalable qu’on en a, extrêmement riches en vestiges. De même, là où l’on pratique des sondages systématiques, ceux-ci révèlent en moyenne des vestiges dans 20% à 25% des cas.

Comme auparavant, le travail des SRA se déroule en deux temps, le diagnostic puis la fouille éventuelle. La prescription de diagnostic est un acte simple, financée par une redevance sur la base de 0,30 euro du m2. Accompagnée de précisions méthodologiques, elle est adressée directement à l’INRAP, qui définit la mise en œuvre concrète du diagnostic et prend alors contact avec l’aménageur. Les SRA sont déchargés de la phase de négociation (de toute façon facilitée par le fait que la redevance est désormais un impôt). Ils n’ont pas non plus à assurer le montage technique de la réalisation des sondages, leur rôle consistant essentiellement à vérifier que le projet de l’INRAP est effectivement à même d’assurer la réalisation de leurs prescriptions scientifiques. Symétriquement l'institut, maîtrisant la définition des projets et la négociation avec les aménageurs, sera en situation de mieux organiser son activité et de mieux gérer ses moyens humains et matériels.

Au vu du résultat des sondages, le SRA (in fine le préfet de région) a le choix entre conserver le site en l’état, suggérer à l’aménageur une modification de son projet (modification susceptible d’abaisser le coût de la redevance si les parties les plus importantes du site n’ont plus à être fouillées) ou enfin prescrire une fouille en l’état. Celle-ci génère une redevance de fouille, automatiquement calculée selon l'épaisseur des couches archéologiques ou la densité des structures et pour laquelle, tout comme pour la redevance de diagnostic, il existe pour les aménageurs une commission de recours. La prescription de fouille repose sur un cahier des charges scientifique, précisant objectifs et méthodes. Son interprétation technique par l’INRAP est à nouveau soumise au contrôle du service.

Financement, globalisation et choix scientifiques

L'une des différences essentielles entre l’ancien et le nouveau système est que, désormais, le financement et l’acte scientifique sont déconnectés. Le financement est une redevance, calculée selon des paramètres précis et perçue par l’INRAP. L’acte scientifique résulte, de manière indépendante, des prescriptions. Le financement permet, comme les archéologues le réclamaient depuis longtemps, une certaine forme de globalisation - qui n’est cependant pas totale, dans la mesure où la perception d’une redevance implique qu’il y a dommage et que, ce dommage mérite réparation, une fouille doit dans tous les cas avoir lieu.

Cette globalisation permet en particulier un dialogue permanent entre le service régional de l’archéologie et l’institut puisque le budget de la fouille n’est plus figé. Il peut ainsi, en fonction des premiers résultats, être à tout moment révisé à la hausse comme à la baisse dans le cadre de ce dialogue, avec consultation de la Commission inter-régionale de la recherche archéologique (CIRA) dès que cela paraît souhaitable. Ceci implique d’ailleurs une forme d’intervention de la CIRA plus souple et plus rapide, sous la forme par exemple d’un secrétariat permanent, tel que l’envisage un décret en préparation.

Ce système, bien plus performant scientifiquement, est aussi plus délicat techniquement. Rien n’indique a priori que le total de la redevance coïncidera avec le total des coûts induits par les prescriptions scientifiques des services régionaux. Un dialogue constructif permanent devra donc s’engager, aussi bien au niveau régional que national, entre les agents de la sous-direction de l’archéologie et ceux de l’institut. Dans ce dialogue, les diverses instances consultatives (CIRA, CNRA, conseil scientifique de l’INRAP) auront aussi à s’exprimer, et les tutelles à arbitrer. Un tableau de bord permanent devra donc être mis en place afin de suivre les évolutions budgétaires, tout comme des modes de dialogue et d’arbitrage scientifiques appropriés. Le rôle des CIRA et du CNRA a été réaffirmé puisque, pour la première fois, ces instances consultatives sont mentionnées dans un texte législatif. La réforme est aussi l'occasion de réajuster leur composition et d'engager la réflexion sur un rôle plus large du CNRA, susceptible de devenir une instance de conseil à un niveau interministériel et de pouvoir ainsi étendre ses compétences à l'ensemble du dispositif de la recherche archéologique. Des décisions devraient donc bientôt suivre.

De même, dans l’immédiat, la mise en place d’une répartition différente des compétences scientifiques et techniques entre les archéologues des SRA et ceux de l’INRAP demandera un apprentissage et des transferts. Pour les uns comme pour les autres, un apprentissage des nouvelles responsabilités définies par la loi est nécessaire (préparation des prescriptions d’un côté, préparation des projets de l’autre), qui ne pourra là encore se réaliser que dans le cadre d’un dialogue fructueux.

Plus généralement, étant donné l’inévitable complexité des nouvelles procédures et le nombre de points techniques qui restent encore à régler par des textes d’application, les prochaines semaines continueront à être celles d’un rodage nécessairement difficile, qui exigeront une très grande implication, tant du point de vue des personnels des services régionaux de l’archéologie que de ceux des nouvelles directions interrégionales de l’INRAP - dans des conditions d’autant plus difficiles et méritoires pour ces dernières qu’elles seront en même temps en pleine restructuration. La réforme de l’archéologie préventive est en effet à la fois une réforme des modes de prescription et de financement et une réforme de l’appareil administratif chargé des fouilles. Or on sait qu’une administration publique a dans tous les cas un fonctionnement plus lourd parce que plus contrôlé – ce qui est aussi une garantie pour les citoyens – qu’une simple structure associative.

Les relations avec les aménageurs

Le nouveau système clarifie sans aucun doute les relations avec les aménageurs, dans la mesure où leurs contributions étaient jusque-là perçues dans un indéniable flou. D'une manière générale, les aménageurs ont pris progressivement conscience, au cours des trois dernières décennies, que l'archéologie préventive faisait partie, parmi d'autres, des inévitables contraintes susceptibles de peser sur un projet d'aménagement. Leur souhait principal est alors que le système de la redevance soit transparent et égal pour tous. Dans ce cas en effet, son coût peut être répercuté sur les usagers ou clients de l'aménagement, sans créer entre aménageurs des distorsions susceptibles, s'il s'agit de produits concurrentiels, de fausser la concurrence.

La récente table-ronde nationale "archéologie et aménageurs, un partenariat pour demain" organisée par le CNRA à Lyon en février 2002 a été l'occasion, au-delà des consultations qui ont accompagné pendant trois ans la gestation et la mise en place de la réforme, de dresser une première liste des questions concrètes qui restent à résoudre. La création d'une commission de recours et leur représentation au sein du conseil d'administration de l'institut apporte aussi aux aménageurs des garanties nouvelles. Face à leur principal souci, celui des délais, l'encadrement étroit des délais d'instruction et le conventionnement, assorti d'éventuelles pénalités de retard, apportent des réponses. L'INRAP devenant leur partenaire unique lors de la négociation des conventions de diagnostic et de fouille, il devient plus aisé pour lui d'établir un mode uniforme de dialogue et d'organiser son planning à l'échelle nationale. Des documents de communication devront aider à ce dialogue en précisant les textes de manière simple.

Il reste effectivement, au-delà des textes, à aborder certains aspects particuliers, comme l'archéologie du bâti, l’archéologie subaquatique, les travaux agricoles, le suivi des tranchées de canalisation ou de réseaux, ou encore le cas des collectivités territoriales de petite taille au budget très modeste, entre autres. Mais le nouveau cadre représente sans nul doute un moment historique dans les relations, éventuellement conflictuelles mais pourtant indissociables, entre le développement économique et la préservation de la connaissance et du patrimoine.

La nouvelle organisation

L’organisation du nouvel institut diffère nettement de celle de l’ancienne association. L’institut est présidé par un(e) scientifique à plein temps et dirigé par un(e) directeur/trice général(e) à compétences administratives. D’emblée est affirmé le caractère indissociable de l’institut, à la fois de gestion et de recherche. Il s’agit en effet de l’un des plus gros établissements publics du ministère de la culture, et aussi de l’un des plus importants instituts archéologiques. La perception d’une redevance en fait un type particulier, à lui seul, d’établissement public. L’importance du budget, le nombre des personnels, mais aussi les enjeux économiques en termes de coûts et de délais, nécessitent une gestion très performante. De la direction générale, qui est assistée aussi par un service juridique et un service de communication externe, dépendent trois directions : celle des affaires financières, celle des ressources humaines et enfin la direction scientifique et technique. Si les deux premières existaient auparavant (la seconde ayant néanmoins connu des aléas), la troisième est évidemment une innovation essentielle.

Sa mise en place, qui aurait dû commencer il y a près d’un an, a été considérablement retardée par la difficulté à trouver un(e) titulaire. Ce métier, qui est à inventer, n’a pas suscité en effet un grand nombre de candidatures. La direction scientifique et technique devra à la fois mettre en place une politique d’ensemble dans les domaines méthodologiques, voire théoriques, et techniques (méthodes de sondages et de fouille, topographie, photographie, enregistrement informatisé, conservation, restauration, stockage, diffusion, etc, etc) et assurer en continu, au niveau national, le suivi scientifique et technique des opérations. Elle devient ainsi l'outil de pilotage, scientifique et technique, qui faisait jusque-là défaut au dispositif. Elle devra aussi assurer l’ensemble de la politique de coopération scientifique avec tous les autres partenaires (universités, CNRS, SRA, archéologues de collectivités, bénévoles, etc).

Comme tout établissement public, l'INRAP est doté d'un conseil d'administration où sont représentés l'ensemble des partenaires, administratifs, scientifiques et économiques, et tant les élus que les aménageurs privés. Ce conseil d'administration est assisté d'un conseil scientifique, dont le secrétariat est tenu par le directeur scientifique et technique de l'établissement. Le conseil scientifique est composé pour près des deux tiers de chercheurs extérieurs à l'institut et, sur ses 17 membres, 12 auront été élus au suffrage direct au sein des différentes institutions concernées (CNRS, universités, sous-direction de l'archéologie, archéologues territoriaux, INRAP). La communauté scientifique sera ainsi directement représentée et, d'une certaine manière, placée devant ses responsabilités. La fonction de membre du conseil ne sera, en effet, guère honorifique : elle demandera une grande implication personnelle dans la mesure où, sans doute pour la première fois, une remise à plat, d'un point de vue scientifique, de l'ensemble du dispositif de l'archéologie préventive est possible. Cette instance devra jouer de manière permanente et concrète son rôle de conseil, et notamment auprès de la direction scientifique et technique. Les options méthodologiques, la mise en place d'un système de recrutement en amont et d'un mode d'évaluation des personnels, la formation initiale et continue, les priorités en termes d'étude et de publication , etc, relèvent de sa compétence.

En revanche, le conseil scientifique n'empiète nullement sur le rôle des CIRA et du CNRA. Ces derniers constituent des instances scientifiques de contrôle et d'évaluation externes, le conseil scientifique de l'INRAP étant un organe de contrôle et d'évaluation scientifiques interne. Il est précisément chargé, en particulier, du suivi en interne des recommandations émises par les CIRA quant à la qualité des travaux effectués par les archéologues de l'INRAP. Mais un dialogue peut évidemment s'engager entre ces différentes instances sur des questions de politiques scientifiques générales.

L'organisation régionale

L’organisation régionale de l’institut a fait, depuis un an, l’objet de nombreux débats. Les deux solutions extrêmes étaient, soit de conserver les 7 antennes interrégionales sous leur forme actuelle, soit d’organiser immédiatement l’INRAP sous une forme régionale (en 25 régions). C’est une solution intermédiaire qui a été choisie, et qui sera présentée au conseil d’administration et au conseil scientifique. Éminemment évolutive dans cette période de transition, cette nouvelle organisation a paru être le meilleur compromis possible entre les nécessités, parfois contradictoires, d’un pilotage national et d’une autonomie régionale. Au sein de chaque direction interrégionale seront mis en place des adjoints scientifiques et techniques à compétence régionale (compétence pouvant être plus large ou plus restreinte, en fonction de l’activité archéologique, que les actuelles régions administratives). Ces derniers, en cours de recrutement, travailleront, associés aux responsables d’opérations, en relation étroite avec les administrateurs, adjoints aux directeurs inter-régionaux, pour la mise en œuvre des projets d’opération. Ils seront aidés dans leur tâche, au niveau interrégional, par les personnels administratifs et techniques de l’inter-région (assistant technique, coordonateur sécurité, logisticien, gestionnaire de convention, gestionnaire de personnel notamment) ; et au niveau régional par les gestionnaires de bases et les équipes des “plateaux techniques. Ils s'appuient sur le réseau des bases archéologiques en place ou à développer.

Ces dernières ont vocation, tout en tenant compte de l'environnement inter-institutionnel, à constituer des centres documentaires et de recherche offrant un minimum d'autonomie intellectuelle aux archéologues qui y sont rattachés. La direction scientifique de l’institut doit mener une réflexion d’ensemble sur ce point, touchant à une répartition régulière des bases sur le territoire et à la question de leurs équipements et de leurs missions. Les personnels de certaines bases ont d’ailleurs déjà constitué des groupes de travail spontanés sur ces sujets ; ils gagneraient à être généralisés. A terme, il serait hautement souhaitable que les équipes scientifiques et techniques puissent y être stabilisées de manière permanente et y travailler sur des problématiques scientifiques durables – même si les nécessités de l’archéologie préventive impliqueront toujours une certaine quantité de déplacements sur de grandes distances.

Ces nouveaux adjoints scientifiques et techniques, autre nouveau métier à inventer (tout comme l’a été, au cours des deux dernières décennies, celui de conservateur régional de l’archéologie, et plus généralement, celui de l’ensemble des archéologues des SRA), seront évidemment une pièce essentielle du nouveau dispositif. Ils devront à la fois assurer le dialogue permanent avec les SRA, gérer au mieux les compétences des personnels et les moyens techniques, s’inscrire dans l’organisation régionale et nationale. On a parfois craint de ne pas pouvoir trouver autant de compétences réunies dans une seule personne. Du moins les candidatures n’ont pas fait défaut. On a également craint qu’ils ne disposent pas d’une autonomie scientifique suffisante, à la fois vis-à-vis des moyens administratifs et techniques gérés par l’adjoint administratif, et vis-à-vis de leur supérieur hiérarchique direct, le directeur interrégional, appelé à d’éventuels arbitrages. C’est oublier que l’essentiel de l’activité archéologique se déroule sous le contrôle des services régionaux de l’archéologie, assistés de leurs instances scientifiques consultatives. Mais ce sera sans nulle doute de la responsabilité de la direction nationale, et en particulier de celle de la direction scientifique et technique à laquelle les adjoints scientifiques sont fonctionnellement reliés, de veiller à une mise en place efficace de cette organisation plus proche du terrain.

Ces nouveaux adjoints scientifiques ont vocation à être recrutés de préférence parmi les actuels responsables d’opération les plus expérimentés – ce qui, temporairement, en réduira d’autant le nombre. Le même phénomène concernera, comme on le verra plus loin, les archéologues de l’INRAP appelés, par roulement, à s’investir dans des activités de recherche postérieures au rapport de fouille. Il est donc urgent que l’INRAP soit capable, au cours des deux prochaines années, de faire émerger de nouveaux responsables d’opérations, en recrutement interne comme externe. Le renforcement du personnel d’administration de la recherche au sein de l’institut doit s’accompagner à terme d’une politique de mobilité, vers l’extérieur comme à l’intérieur. Il est d’usage en effet, dans le milieu de la recherche, que le grade (c’est-à-dire le niveau de salaire) soit dissocié de la fonction de responsabilité. En clair, la responsabilité de directeur/trice de laboratoire est, au CNRS, limitée dans le temps et le titulaire occupe ensuite d’autres fonctions de recherche ou de responsabilité. Cette mobilité interne doit donc être assurée sur le long terme afin de permettre d’alterner les formes de responsabilité et d’assurer aux titulaires de responsabilités administratives une légitimité scientifique continue.

La politique des personnels

Une politique des personnels doit, dans le cas de l’INRAP, gérer en particulier trois problèmes : la pyramide des âges, les contraintes de mobilité géographique propres à l’archéologie préventive et la formation.
La question de la pyramide des âges, legs de l’ancienne AFAN et où l’essentiel des personnels est compris dans la tranche 30-40 ans, est à aborder sous trois aspects :

a) La relative jeunesse des personnels a pour conséquence, dans l’état actuel, une hausse mécanique annuelle de la masse salariale d’environ 2%.

b) En revanche, la pénibilité propre aux travaux de terrain entraîne un certain nombre de maladies professionnelles et une difficulté croissante pour les archéologues, à partir de 40 ans environ, à assurer de longues périodes continues de fouille. D’autres tâches peuvent être aisément offertes à ces archéologues (recherche, administration, instruction des dossiers, animation, gestion de la documentation, diffusion, etc). Mais elles impliquent de pouvoir être financées et que, en même temps, un nombre comparable d’archéologues plus jeunes puissent être mis sur le terrain.

c) Le taux de renouvellement normal d’une institution suppose un flux d’entrée annuel d’environ 3% de recrutements frais. C’est pour ne pas avoir su assurer ce flux que le CNRS est désormais confronté à une population vieillissante, dont la moyenne d’âge dépasse 52 ans et représente en outre une masse salariale disproportionnée (de l’ordre de 90% en sciences humaines et sociales).

C’est de sa capacité à traiter ces trois aspects que résultera pour l’INRAP une démographie équilibrée à terme.
La seconde question est celle de la contrainte des déplacements. Choisir de travailler dans l’archéologie préventive impliquera toujours, par définition, des déplacements éventuels sur de grandes distances, en cas de travaux d’aménagement exceptionnels concentrés en un point particulier du territoire. On voit également que le ratio entre le nombre d’archéologues de l’INRAP (environ 1500) et la taille du territoire métropolitaine implique un nombre moyen d’archéologues d’environ 10 à 20 par département, ou encore d’environ 50 à 100 par région. De ce point de vue, la zone géographique naturelle d’intervention pour des opérations d’importance moyenne ou supérieure est au minimum la région administrative. Elle ne saurait guère être inférieure, sauf programmes à long terme.
Néanmoins la rentabilité, autant en termes humains que scientifiques, est évidemment de stabiliser à termes des équipes au sein de zones géographiques, et de permettre aux archéologues de développer des compétences scientifiques propres à une zone et à une tranche chronologique donnée - comme c’est le cas pour tout chercheur archéologue. Cela vaut autant pour l’étude des cultures matérielles que pour celle du paléo-environnement. Une connaissance fine et régulièrement accrue du paléo-environnement régional à des conséquences, non seulement sur l’analyse des fouilles, mais aussi sur la conduite des diagnostics et leur optimisation. De ce point de vue, les informations dues aux diagnostics dits “négatifs” devront également faire l’objet d’un enregistrement. En cas de mobilité nécessaire, il est également plus efficace de déplacer des équipes constituées que des individus isolés.

La formation

La question de la formation, continue et initiale, est cruciale. Le décollage trop brutal de l’archéologie préventive n’a pas permis la mise en place de formations appropriées. Pendant près de dix ans, le concours de l’École nationale du patrimoine s’est trouvé entièrement inadapté aux réalités du terrain. Les formations qui auraient dû assurer les enseignements nécessaires (Maîtrises de sciences et techniques de l’archéologie préventive, telles celle de l’université de Tours) ont dû être fermées faute d’une politique cohérente d’enseignement et de recrutement. Un effort considérable de remise à plat, destiné à pallier l’hétérogénéité de la formation des personnels actuels de nouvel INRAP devra donc être entrepris de manière très volontariste. Il passe à la fois par la contractualisation avec certaines universités (à l’instar de ce qui existe déjà avec celle de Dijon), notamment dans le cadre de diplômes professionnels (licences professionnelles, DESS), et par des formations “à la carte”, capables de valoriser au mieux les aptitudes de chaque agent. De ce point de vue, les adjoints scientifiques et techniques auront une mission particulière. Cette valorisation nécessaire touche évidemment l’ensemble des personnels, techniques comme scientifiques. De même qu’il est nécessaire, on l’a vu, de faire émerger de nouveaux responsables de fouille, de même qu’on doit développer les activités de recherche, de même, si l’on veut éviter les risques de démotivation, les techniciens doivent être mieux associés à l’ensemble des tâches archéologiques.

La question de la formation initiale doit être entièrement reprise. Certes, la création toute récente d'une Licence d'archéologie enfin dégagée de l'histoire de l'art a été l'occasion, et de définir un enseignement plus approprié à l'évolution de la discipline, et, en limitant à une douzaine le nombre d'universités habilitées à délivrer le nouveau diplôme, à dessiner une carte à peu près cohérente de l'enseignement. Mais, avec 1500 archéologues, l’archéologie préventive représente depuis une décennie plus de la moitié des débouchés professionnels des étudiants en archéologie. Cette tendance n'a guère de raisons de s’inverser. Or l’enseignement universitaire est peu orienté dans cette direction. Les stages de terrain, en général, n’y représentent qu’une place très faible au regard d'autres pays européens. Là encore, une réflexion importante et concrète doit être menée avec les universités afin de définir des enseignements mieux adaptés à la réalité du marché de l’emploi, sans faillir, dans le même temps, aux exigences d’une formation à la recherche de haut niveau. Il s'agit en particulier, par des conventions de stage, d'insérer à différents niveaux les étudiants en formation dans le dispositif de l'archéologie préventive. De même, l'INRAP est appelé à jouer un rôle, en partenariat avec les universités intéressées, dans le soutien des doctorants.

La politique de recherche

Comme son nom l’indique, mais aussi ses missions définies par la loi, l’INRAP est d’abord un établissement de recherche. En dernière analyse, c’est en termes de qualité de la recherche que l’évaluation en sera faite. Que l’INRAP équilibre son budget, qu’il exécute les fouilles conformément aux prescriptions scientifiques des SRA et qu’il respecte les termes des conventions passées avec les aménageurs est bien le moindre. Mais la véritable question sera toujours : au regard des sommes investies pour les fouilles préventives, quelle est l’importance du rendu en termes de production de connaissances scientifiques et en termes de restitution de ces connaissances auprès des citoyens ?

La politique de recherche d’un établissement repose d’abord, faut-il le dire, sur l’implication de ses agents, chacun à son niveau de compétence. C’est de l’absence d’une telle politique, que n’autorisait pas le système précédent, que provient une grande partie des frustrations ou de la démotivation de certains archéologues de l’INRAP. C’est pourquoi la direction de l’institut a accueilli avec le plus grand intérêt les réflexions spontanées qui se sont dores et déjà manifestées dans plusieurs régions, soit sur l’organisation et la conception de la recherche, soit même sur sa programmation concrète. Le nouveau mode de financement mais aussi le nouveau statut des personnels permettent officiellement qu’une partie du temps de travail soit consacré aux activités de recherche postérieures à la remise du rapport de fouille (sachant évidemment, comme l’a opportunément rappelé la loi, que l’archéologie préventive est dans sa totalité une activité de recherche). Ce sont les modalités concrètes de cette participation à la recherche que devra définir sous peu la direction scientifique, en accord avec le conseil scientifique, participation qui devra s’effectuer de manière à la fois transparente et contractuelle, sur des programmes précis.

La mise en place de cette nouvelle politique scientifique repose sur quatre points principaux : la formation et la mobilité des personnels, la carte des formations de recherche, les moyens, enfin les programmes de recherche eux-mêmes, avec leurs modalités de participation. Ces différents aspects doivent faire l'objet de conventions entre les différentes institutions impliquées. Dans un premier temps, une convention générale va permettre au ministère de la culture et à celui de la recherche d'assurer de manière programmatique leur co-tutelle. Dans un second temps, des relations inter-institutionnelles plus précises devront être établies entre chaque institution, à l'instar de la convention cadre qui régit déjà la collaboration scientifique entre le ministère de la culture et le CNRS – et notamment les unités mixtes de recherche (UMR) communes, au nombre d'une demi-douzaine.

Si la question de la formation a été abordée plus haut, celle de la mobilité lui est en grande partie liée. La création d'un établissement public avec des personnels de droit public (même si leur statut ne permet pas le "détachement" au sens strict mais la "mise à disposition") est l'occasion d'établir des passerelles entre organismes de façon beaucoup plus aisée. On sait que l'AFAN a constitué un réservoir permanent d'archéologues en direction des services régionaux de l'archéologie (plus de la moitié des agents des SRA en sont issus), mais aussi de l'université, du CNRS et des collectivités territoriales. Des postes d'accueil d'un ou deux ans existent au CNRS pour les archéologues des SRA, une disposition qui devrait être étendue à ceux de l'INRAP. Le statut du nouvel institut permet d'accueillir des personnels extérieurs, non seulement pour la durée d'une fouille (par simple voie de convention), mais aussi pour conduire des projets de recherche de plus longue durée. Une mobilité réciproque et à durée variable entre les SRA et l'INRAP ne pourrait qu'avoir des effets bénéfiques. Ainsi, une circulation généralisée assurerait l'homogénéité de la discipline et permettrait une pratique diversifiée.

Les structures de recherche

La réforme est aussi l'occasion de redessiner la carte des formations de recherche, comme vient de l'être, on l'a vu, la carte de l'enseignement – les deux ayant partie liée. Dans un avis récent, le Conseil national de la recherche archéologique (avis n°5 de septembre 2000), a appelé à la constitution de "pôles scientifiques mixtes" régionaux : ces pôles seraient, dans un premier temps, des lieux de discussion où les archéologues d'une même région (au sens géographique) et toutes institutions confondues, envisageraient les différentes formes de coopération susceptibles de les associer, tant du point de vue de l'organisation que des programmes scientifiques. Il n'est évidemment pas question par là de créer, dans chacune des 22 régions administratives métropolitaines, une "unité mixte de recherche" (UMR) qui regrouperait l'ensemble des chercheurs de ladite région, depuis les paléolithiciens jusqu'aux modernistes ; au contraire, une pluralité de formes d'association, au plus près du terrain, doit être envisagée. Ces pôles ne fonctionneront que sur la base du volontariat, quitte à ce que les institutions de tutelle se réservent un rôle incitatif en favorisant les regroupements qui joueraient effectivement le jeu de la coopération.

Ces formes de coopération peuvent être très souples. La manière la plus formalisée est effectivement celle de l'UMR, dans le cadre de conventions-cadres générales entre le CNRS, le ministère de la culture et l'INRAP, et de conventions particulières précisant, sous forme pluriannuelle, les coopérations propres aux programmes de chaque UMR. Il existe sur le territoire métropolitain entre une quinzaine et une vingtaine d'équipes CNRS-universités où l'on pratique de l'archéologie métropolitaine. Toutes n'ont pas nécessairement vocation à s'insérer dans le nouveau dispositif ; d'autres seraient sans doute à créer dans les régions où elles font défaut, à l'instar de celle qui vient de naître à Lille. Dans tous les cas, celles qui souhaiteront coopérer devront le faire dans la clarté. L'association implique en effet des droits et devoirs réciproques.

L'INRAP, en particulier, devient un partenaire à part entière. Si cet "établissement public à caractère administratif" (EPA) n'appartient pas à la sous-catégorie des "établissements publics à caractère scientifique et technique" (EPST, tel le CNRS, ou EPSCT), c'est parce que, on l'a vu, dans le cas de ces derniers les emplois publics sont pourvus par des personnels titulaires de la fonction publique – alors que les personnels de l'INRAP sont des agents de droit public non-titulaires (comme l'étaient ceux du CNRS avant le statut de 1982 ; ou comme le sont, avec un statut différent, les chercheurs et techniciens du Commissariat à l'énergie atomique). Pour le reste, il s'agit bien d'un établissement de recherche, de par ses missions définies par la loi, de par son organisation interne (conseil scientifique, direction scientifique, etc) et de par la co-tutelle qu'exerce le ministère de la recherche. Les termes mêmes de "chercheur", "ingénieur", "technicien" ne relèvent pas de notions intemporelles mais de catégories administratives définies au sein de chaque établissement. Ainsi, à l'instar du Commissariat à l'énergie atomique, on n'a pas souhaité isoler au sein de l'INRAP deux corps distincts, par exemples de "chercheurs" d'une part et de "techniciens et ingénieurs" d'autre part, mais il a été opté pour un corps unique, réparti en cinq catégories. Le partenariat implique concrètement, parmi les droits et devoirs, un accès égal et réglé à l'ensemble des moyens (bibliothèques, outils documentaires, données de fouille sous réserves des droits scientifiques, etc) et des procédures de gestion (conseils de laboratoire, etc) ; il implique un rôle d'assistance des chercheurs plus confirmés en direction des chercheurs plus jeunes ; il implique enfin des programmes de recherche précis, assortis de calendriers et d'échéances, associant des chercheurs précis. Les partenariats déjà mis en place, avant même la création de l'INRAP, dans le cadre des UMR de Toulouse ou de Lattes montrent assurément que ceci est non seulement possible, mais nécessaire et fructueux.

Mais les formes de partenariat peuvent être plus souples. Ainsi, les "programmes collectifs de recherche" (PCR) ont amplement montré ces dernières années leur pouvoir fédérateur. A une échelle plus réduite encore, on peut très bien envisager aussi le financement d'opérations courtes et ponctuelles.

Le partenariat avec les collectivités territoriales et les associations

A partir des années 1970, des départements et des villes ont commencé à développer des services archéologiques afin de mieux gérer leur patrimoine. Actuellement, on compte de tels services dans environ un quart des départements et dans 50 à 70 villes. De fait, leurs statuts sont fort divers, même si la fonction de conservateur et d'attaché du patrimoine a reçu une définition, d'autant que le patrimoine n'a pas été décentralisé en 1982. Le ministère de la culture a longtemps eu une attitude ambiguë vis-à-vis de ces services, satisfait d'une force d'appoint mais souhaitant en garder le contrôle, et finalement sans manifester de politique nette. Les élus se trouvent souvent dans la même ambiguïté, à la fois intéressés par un patrimoine qu'ils souhaitent valoriser, mais éventuellement bridés par leur propre service archéologique dans leurs projets d'aménagement. Mais il est clair aussi que, là où ils existent, ces services permettent un pilotage beaucoup plus adéquat des opérations d'aménagement, notamment par l'entretien de cartes archéologiques, sans compter leur action dans le domaine de la conservation (dépôts de fouille, etc) et de la diffusion.
Pour la première fois, une loi, celle de 2001, mentionne explicitement ces services, de même que, par la procédure d'agrément qu'elle prévoit, elle ouvre la voie à une définition plus précise ; enfin, en prévoyant des dégrèvements, elle encourage ouvertement les collectivités à développer de tels services. Cet encouragement a été confirmé par la directrice de l'architecture et du patrimoine à l'occasion des récentes rencontres "archéologie et aménageurs" tenues à Lyon en février dernier.

Trois types de coopération permettent désormais d'associer les archéologues de collectivités et le nouvel institut :

a) lorsque le SRA désigne un archéologue de collectivité comme responsable d'une fouille préventive, une simple convention (article 3 du décret statutaire) permet de fixer les modalités du partenariat avec l'INRAP, l’institut fournissant en général l'essentiel des moyens humains et matériels, tandis que la collectivité peut prévoir, outre la mise à disposition de ce responsable d’opération, d’autres éléments de coopération.

b) lorsqu'un service archéologique territorial a fait l'objet d'un agrément de la part du ministère de la culture, la collectivité bénéficie d'un dégrèvement pour les fouilles préventives associées à des aménagements que cette collectivité réalise pour elle-même, et à hauteur des moyens qu'elle fournit.

c) Au-delà des opérations de fouille, des conventions scientifiques plus larges peuvent associer un service territorial et l'INRAP, notamment pour une politique de recherche, de publication et de diffusion, ainsi que pour la gestion de dépôts communs de fouilles et d'archives.

Comme on le voit, le mode de partenariat entre les services territoriaux est en grande partie à inventer, au sein de ce cadre conventionnel. Il devrait déboucher sur des relations d'autant plus fructueuses qu'il existe une tendance actuelle vers une décentralisation accrue dans le domaine patrimonial, comme l'ont montré coup sur coup la loi sur la Corse, le rapport Mauroy à propos de la décentralisation de l'Inventaire et la toute nouvelle loi sur la "démocratie de proximité" qui envisage une décentralisation expérimentale de la gestion des monuments historiques. En attendant, il revient néanmoins aux collectivités territoriales de se doter de services de plus en plus homogènes, l'État ayant lui-même donné le bon exemple en sortant de la fiction associative de l'AFAN.

La coopération avec le milieu véritablement associatif des archéologues bénévoles est rendu, on l'a vu, beaucoup plus facile par la création d'un établissement public, alors qu'un système concurrentiel les aurait au contraire totalement exclus. Il y a de fait des bénévoles du service public, tels qu'ils existent, par exemple, en milieu hospitalier ou, avec un statut particulier, dans la lutte contre les incendies. Dans le champ de la recherche, on connaît l'importance des réseaux de scientifiques amateurs, comme par exemple en astronomie ou en météorologie. Le milieu des bénévoles, sur lequel reposait, jusqu'au début des années 1970, l'essentiel de l'archéologie de sauvetage, a été progressivement marginalisé par la nécessaire professionnalisation de la discipline. Cette marginalisation, qui s'est soldée dans certaines régions par une quasi-disparition accentuée par le renouvellement des générations, est très dommageable, à la fois d'un point de vue de politique culturelle générale, mais aussi parce que le tissu des amateurs permettait un signalement régulier des découvertes archéologiques, tout en assurant auprès des élus locaux et de la population un rôle de médiation.

C'est donc, là encore par voie de conventionnement, qu'on peut envisager des formes de collaboration scientifique dans le domaine de l'archéologie préventive; Les moyens, les procédures et la programmation
Le financement prévu pour les activités de recherche postérieures à la remise des rapports de fouille repose sur deux sources : d'une part des lignes budgétaires extérieures spécifiques provenant du ministère de la culture et du ministère de la recherche, mais aussi bien des collectivités territoriales (dans le cadre de partenariat) ou encore de l'union européenne (la recherche française y est notoirement peu présente) ou de toute autre institution nationale ou internationale ; d'autre part du budget propre de l'INRAP alimenté par la redevance. A titre préliminaire, il est envisagé dès l'année 2002 de mettre en place, sur des actions spécifiques, plusieurs centaines de mois-chercheurs.
Quant aux procédures, elles reposent sur deux principes : le partenariat et l'appel à projets. Partenariat et coopération sont en effet indispensables et seront favorisés systématiquement, aucune institution n'ayant vocation ni capacité à travailler seule dans le domaine de l'archéologie préventive – même si les formes de coopération, on l'a vu, peuvent être très variables, depuis des équipes "lourdes" travaillant dans le cadre de conventions sur des programmes pluriannuels, jusqu'à un petit groupe de chercheurs souhaitant achever une monographie de fouille.

Le principe de l'appel à projets (comme pour l'appel à candidatures dans le cadre des recrutements de personnels) repose d'abord sur un souci de transparence : c'est un même groupe d'experts qui, à un moment donné du temps et selon les mêmes critères, sélectionne, parmi les projets qui auront été présentés, ceux qui paraissent les plus prometteurs et les plus réalisables. C'est sur ce principe qu'ont fonctionné, dans les années 1980, les anciennes "actions thématiques programmées" (ATP) en archéologie métropolitaine. Lancées à la fin des années 1970 à l'initiative de l'ancienne Délégation générale à la recherche scientifique et technique (DGRST) devenue depuis la direction de la recherche du ministère du même nom, elles se sont poursuivies jusqu'au début des années 1990 dans le cadre d'une convention entre la sous-direction de l'archéologie, le ministère de la recherche et le CNRS. Nul ne nie le rôle fédérateur qu'elles ont pu avoir pour la recherche archéologique métropolitaine et il convient donc de les relancer, en y associant désormais l'INRAP (lorsque l'archéologie préventive est plus spécifiquement concernée) et avec des procédures générales que les institutions de tutelle doivent déterminer. Outre les projets qui pourront faire l'objet de financements inter-institutionnels, il est aussi dans les missions de l'INRAP, à une échelle moindre mais avec des procédures identiques et sous l'égide de sa direction scientifique et technique, de favoriser l'émergence de projets de recherche propres. C'est dans le même cadre, à une échelle cette fois individuelle, qu'on peut envisager le soutien, déjà évoqué, aux doctorants de l'INRAP, tout comme, dans un autre domaine, la participation des archéologues de l'INRAP (une centaine d'entre eux sont concernés chaque année, à chaque fois sous des formes très diverses) aux missions françaises à l'étranger – un dossier qui doit être traité avec le ministère des affaires étrangères.

Le principe de l'"appel à projets" relève de ce qu'on appelle la "politique incitative", c'est-à-dire le fait, pour les institutions de tutelle, de ne pas se contenter de "saupoudrer" les moyens en les répartissant de manière uniforme entre structures de recherche préexistantes. Il suppose donc une forme de programmation en amont, susceptible de favoriser certaines orientations de recherche, jugées plus prometteuses, au détriment d'autres. C'est un exercice difficile, puisque tout est intéressant et qu'on a souvent reproché aux actuels "programmes" du CNRA, dans lesquels viennent se loger l'ensemble des opérations de terrain, d'être plus un constat de l'existant qu'une réelle programmation. C'est pourquoi l'actuel CNRA, qui vient d'achever un bilan général de la recherche archéologique nationale, réfléchit à d'autres formes de programmation, comme de définir, à l'instar de ce qui est fait dans le domaine de l'environnement, des zones géographiques particulières ayant valeur d'échantillons, et sur lesquels se concentreraient plus particulièrement les moyens disponibles.

Dans le cas de l'archéologie préventive, et sans doute au-delà, deux préoccupations peuvent orienter la programmation : favoriser les approches novatrices et compenser des déséquilibres existants. Il est évident, par exemple, que l'analyse des territoires dans le cadre de systèmes d'information géographique (SIG) connaît un grand développement, aussi bien pratique que théorique et que, au-delà de la carte archéologique dont la responsabilité incombe à l'État, elle est une des voies pour construire des modèles d'occupation – à leur tour susceptibles d'établir concrètement des cartes de prévision des découvertes. De même, la reconstitution du paléo-environnement, qui devra faire l'objet au sein de l'INRAP d'une politique d'ensemble, est susceptible d'applications aussi bien théoriques, dans l'étude de la longue durée, que pratiques, à nouveau à un niveau prédictif. Plus généralement, systèmes et théories de l'information (pour lesquels un nouveau département scientifique vient d'être créé au CNRS) et environnement font partie des actuels axes prioritaires de la recherche, tant au niveau national qu'européen.

Compenser des déséquilibres est, pour l'INRAP, affronter en priorité la question de l'immense retard en publications, accumulé depuis vingt ans dans le domaine de l'archéologie préventive. En raison du mode de financement et de l'absence de pilotage, l'effort en études et en publications n'a pas été à la hauteur de l'effort de fouille. Il conviendra donc de faire émerger de telles initiatives, en établissant des priorités et une programmation sur le long terme. Sans entrer dans le détail des sous-disciplines, on constate également que l'intégration de l'archéologie préventive à l'ensemble de la recherche nationale est de nature diverse. Ainsi les archéologues de l'INRAP sont en général relativement bien intégrés aux équipes CNRS de pré- et protohistoire. Cette intégration est nettement plus faible dans le domaine de l'archéologie médiévale, avec d'importantes variations régionales. Enfin, pour la période antique, il existe, sauf exceptions, un large fossé entre les équipes universitaires instituées de longue date et la masse des données récemment issues de l'archéologie préventive qui, en terme de territoire et d'archéologie rurale, est susceptible de bouleverser les connaissances. Plus généralement, il existe aussi de grandes disparités régionales, la quantité de chercheurs non-INRAP étant beaucoup plus importante dans la partie méridionale de la France (en proportion inverse de l'activité d'archéologie préventive), et nettement plus faible dans la moitié nord, plus particulièrement encore dans la partie nord-est. Les départements d'outre-mer représentent encore un cas particulier.
Ainsi devraient émerger, par une interaction constante entre les institutions de tutelle et la recherche de terrain, des formes de programmation plus précises et plus incitatives. C'est dans ce cadre que devraient aussi se dérouler, sous des formes encore à construire, les nécessaires arbitrages scientifiques qui découlent du caractère partiellement globalisé du financement de l'archéologie préventive.

La politique de publication

Le nouvel institut n'a pas vocation à devenir un pôle d'édition indépendant. De telles tentatives, notamment, naguère, de la part du CNRS, se sont révélées contre-productives. Ce sont effectivement les politiques pluri-intitutionnelles qui, au cours des deux dernières décennies, ont donné les meilleurs résultats. Le succès de la collection des Documents d'archéologie française (DAF) en est le meilleur exemple. C'est donc par une politique de partenariat, qui préserve en même temps son identité et celle de ses chercheurs, que l'INRAP doit envisager son activité de publication.
Ainsi, les DAF étaient jusque-là publiés dans le cadre d'une convention entre le CNRS, la sous-direction de l'archéologie et le ministère de la recherche, édition et diffusion étant assurées par la Maison des sciences de l'homme ; l'AFAN intervenait comme prestataire de service pour la sous-série d'archéologie préventive. Il serait désormais logique que l'INRAP intervienne comme partenaire à part entière, au moins en ce qui concerne l'archéologie préventive. En même temps, on remarque que l'actuelle série des DAF publie surtout des monographies de fouille, les seuls travaux synthétiques étant des thèses. On pourrait concevoir que les thèses, et particulièrement celles émanant d'archéologues de l'INRAP, puissent composer une série à part, n'excluant pas les co-éditions ; et que symétriquement il y ait de la part des institutions financeuses un appel volontariste à des travaux synthétiques, susceptibles, par exemple, de produire un état des lieux provisoire de l'état de la recherche pour telle période chronologique dans telle région. Quant aux travaux monographiques, au moins pour ceux concernant l'archéologie préventive, il est envisagé, à la suite de la suggestion d'un groupe de travail, de créer une série qui aurait vocation à éditer à moindre coût les meilleurs rapports de fouille – ce qui devait être, à l'origine, la fonction des DAF en référence au modèle des British archaeological reports. Cette série pourrait être co-éditée ou hébergée, par des accords avec différents éditeurs.
L'INRAP est également associé, en ce qui le concerne, aux réflexions sur la diffusion des informations de fouille. On sait que deux supports assurent cette fonction, la revue Gallia-Informations éditée par le CNRS en collaboration avec les services régionaux de l'archéologie, maintenant diffusée sur Cd-Rom, et les Bulletins scientifiques régionaux édités et diffusés par les SRA – sans compter les notices que publiait aussi l'ancienne AFAN. Une étude menée en commun par le CNRS et la SDA tend à s'orienter vers une chaîne opératoire unique et une diffusion en ligne – les SRA qui le souhaiteraient continuant à diffuser une forme "papier" du travail commun pour la région qui les concerne. Cette chaîne commune s'appuierait sur des résumés des rapports de fouille établis sous une forme normalisée, validés par les SRA et les CIRA, indexés de manière homogène et mis en ligne. L'INRAP participerait à la chaîne commune, pour les opérations d'archéologie préventive.

La réflexion doit aussi porter sur les supports de diffusion interne, une fonction qu'assurait la récente revue Archéopages au sein de l'AFAN. Un ou plusieurs organes de communication interne sont en effet indispensables au sein d'un institut de 1500 personnes – tout comme le CNRS diffuse la revue Courrier du CNRS auprès de ses agents et aussi vers l'extérieur. Une telle revue ne doit pas faire double emploi avec les revues existantes, nationales ou régionales, elles-mêmes fragiles et au soutien desquelles il ne serait pas anormal que l'INRAP participe. En même temps, une bonne partie des questions méthodologiques et pratiques touchant à l'archéologie préventive ne dispose pas nécessairement de supports adéquats dans le système éditorial français.

Plus généralement enfin, la question des publications scientifiques est aussi celle de la gestion des archives de fouille, qui sera abordée plus bas.

Animation et diffusion auprès du public

L'une des principales raisons qui ont provoqué la crise du système français de l'archéologie préventive est son déficit de communication. On connaît la remarque mainte fois entendue de la part d'élus-aménageurs : "on nous rackète et on ne nous rend rien". Ce déficit a des raisons financières, l'absence de crédits (et donc de temps) prévus à cet effet. Mais il a aussi des raisons culturelles : le faible intérêt de la direction des musées de France pour l'archéologie métropolitaine, la disparition, déjà évoquée, du tissu des archéologues bénévoles et, plus généralement, les priorités et les choix, pris dans l'urgence, de l'archéologie professionnelle.

Néanmoins, il y a bien une obligation de restituer à la collectivité nationale les résultats de l'archéologie préventive, qu'elle finance en fin de compte. Cette obligation figure en toutes lettres dans la Convention de Malte, et elle a donc été reprise par la loi de 2001 (article 1er). Si l'INRAP n'a pas le monopole de cette restitution (les SRA, au sein des DRAC, en sont tout autant chargés, de même que les collectivités territoriales, les musées et l'initiative associative ou privée y ont leur place), il doit néanmoins y prendre sa part. Au sein de la mission de préfiguration, et maintenant de l'institut, un important travail de réflexion a été entrepris par le nouveau service de communication. Souvent, là encore, la communication devra se faire en partenariat. Tous les supports de diffusion doivent être envisagés, la France ayant un retard notoire dans le domaine de la communication archéologique télévisuelle, et plus généralement audiovisuelle. L'animation en milieu scolaire est également un enjeu important, des expériences probantes étant actuellement en cours dans la région lyonnaise et dans la région bordelaise. De même, un partenariat avec les musées devrait envisager une politique plus dynamique d'expositions, susceptible de dresser des états des lieux, à un niveau régional mais aussi national, des apports les plus récents de l'archéologie préventive.

Une meilleure communication passerait sans doute aussi par une politique de revitalisation du tissu de l'archéologie bénévole – on a mentionné plus haut les réseaux existant dans d'autres champs scientifiques.

Le dépôt et l'archivage des données de fouille

On sait l'énorme accumulation de données engendrée par l'archéologie préventive – mais aussi l'archéologie programmée. Le rapport de l'inspecteur Papinot a recensé plus de 350 dépôts de fouilles, dans des états fort divers de conservation. La nouvelle loi précise plusieurs points. L'INRAP ne peut conserver les objets et la documentation que pour une durée maximale de cinq ans. Les objets immobiliers découverts dans le cadre de l'archéologie préventive appartiennent à l'État, sauf s'il n'en revendique pas la propriété. Il est sans doute dommage que cette disposition n'ait pas été encore étendue aux objets mobiliers, à l'instar de ce qui est le cas pour d'autres pays européens. De fait, la loi de 1941 continue à régir le mobilier : dans le cas de l'archéologie préventive, celui-ci appartient pour moitié à l'État, pour moitié au propriétaire du terrain. Mais, désormais, si le propriétaire est une collectivité territoriale, l'État peut se désaisir, au profit de la collectivité, de la part des objets qui lui appartient. Un arrêté doit préciser les normes de conservation des objets et de la documentation.

L'ensemble de ces nouvelles dispositions constitue donc une incitation pour une politique coordonnée des dépôts archéologiques, en commun entre la sous-direction de l'archéologie, l'INRAP et les collectivités territoriales concernées, et qui est à mettre en place.

Au-delà des objets archéologiques, se pose le problème de la gestion et de la conservation de la documentation archéologique. Cette question est d'autant plus cruciale que, pour les archives électroniques qui sont en quantité croissante, les supports matériels et les logiciels se succèdent avec rapidité, avec des problèmes graves d'incompatibilité, voire de disparition à terme. Il reviendra de ce point de vue à la direction scientifique et technique de mettre en place une politique globale de l'archivage électronique.
Mais la question de l'archivage pose aussi celle de la constitution de bases de données archéologiques, dans la perspective de leur diffusion. Cette question est posée depuis trois décennies et, au début des années 1990, le CNRS lui avait consacré une action spécifique, sans que des progrès sensibles aient été accomplis depuis lors. Si le support papier reste encore le plus sûr moyen de transmission des connaissances à long terme, l'édition archéologique érudite est excessivement coûteuse, en raison de la grande masse de données et du petit nombre de lecteurs potentiels. L'articulation entre le livre nécessaire, l'accessibilité permanente des archives dans leur ensemble, et leur conservation à long terme est donc l'un des chantiers essentiels de l'archéologie préventive.

Ainsi, le cadre juridique et réglementaire, dans ses principales dispositions, étant désormais en place et les autorités politiques ayant pris leurs responsabilités, un travail immense attend l'ensemble des acteurs de l'archéologie préventive. La réforme de l'archéologie française est susceptible de devenir un modèle pour les archéologies européennes. Les outils existent pour un renouveau des méthodes, la rédaction des synthèses nécessaires, la diffusion des données, les débats théoriques ou encore la communication auprès du public. Certes, des changements culturels considérables doivent se produire dans l'esprit de tous les partenaires. Il n'est pas facile de passer du statut de salarié privé dans une agence de moyens à celui de technicien ou de chercheur dans un institut de recherche public. Il n'est pas aisé de passer de la culture revendicative qui a permis, justement, de maintenir puis de transformer au sein du service public un outil de travail au travers de menaces répétées, à une culture où la sécurité du statut doit nécessairement aller de pair avec le choix de servir la collectivité. Il n'est pas toujours évident, pour les autres acteurs, de devoir désormais considérer les archéologues de l'INRAP comme des partenaires à part entière.
Rien n'est non plus acquis d'emblée. C'est de la capacité de tous les membres de l'institut national de recherches archéologiques préventives, en partenariat étroit avec les archéologues de toutes les autres institutions, à mettre en œuvre la réforme, depuis le terrain jusqu'à la restitution des connaissances, que dépendra l'avenir d’une réforme collective historique.


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